FOIRE AUX QUESTIONS DE fr.sci.maths         CHAPITRE II: DEMONSTRATIONS

 


II-10. Expression par radicaux
des racines d'un polynôme de degré n

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a) Historique. i) Antiquité. La notion moderne d'équation n'émerge, en fait, qu'assez tardivement dans l'Histoire, et ce que l'on appelle "algèbre" dans l'Antiquité se limite dans une large mesure à la résolution de problèmes de degré n, c'est-à-dire de problèmes numériques concrets visant à déterminer une certaine quantité, qui pour nous dépend algébriquement des données. À cet égard, les mathématiciens Mésopotamiens sont particulièrement avancés. Les Babyloniens, par exemple, sans pour autant dégager de "formule générale", disposent de méthodes systématiques de résolution des problèmes de degré 1 et 2, dont certains mettent même en jeu des systèmes, linéaires (ou non). Dans quelques cas particuliers, ils résolvent même des problèmes de degré 3 et 4. Par comparaison, l'algèbre égyptienne de la même époque (début du IIè millénaire avant notre ère) peut paraître assez rudimentaire. Pénalisés par un système de numération inadapté et des notations lourdes (pour les fractions par exemple), les Égyptiens résolvent au cas par cas des problèmes du premier degré uniquement, et cela par des méthodes qui nous sembleraient de peu de rigueur. Les Grecs eux-mêmes, à cause peut-être de la fameuse crise des irrationnels, se méfient, un peu, de l'algèbre et l'ont peu fait progresser. Ni les Pythagoriciens (plus préoccupés des entiers), ni les successeurs d'Euclide (qui se consacrent avant tout à la géométrie) ne s'y sont beaucoup intéressés. Le dixième livre des _Éléments_ constitue néanmoins le fondement de nombreuses recherches algébriques du Moyen-Âge. Exception éclatante : Diophante d'Alexandrie, mathématicien du IIIe siècle après J.-C., dont les _Arithmétiques_ constituent peut-être le premier traité "d'algèbre classique". Il y introduit en effet la notion d'équation algébrique, c'est-à-dire la relation entre les puissances successives d'un nombre inconnu (arithmos) qu'il s'agit de déterminer par transformations successives de la relation. Sa démarche déductive est certes en recul par rapport à la méthode axiomatique d'Euclide, mais il se permet ainsi de considérer les fractions et les irrationnels comme des nombres à part entière, ce qui renforce la généralité de ses méthodes. ii) Du IVe au XIVe siècle S'inspirant peut-être de la numération chinoise, les Indiens inventent un système décimal de position comportant le zéro et les relatifs négatifs dès le IVe ou le Ve siècle après J.-C. et qui permet des notations algébriques bien plus élégantes. Ainsi, au VIIe siècle, le mathématicien Brahmagupta, dans son traité _Brahmasphutasiddhanta_ énonce-t-il des règles générales de transformation des expressions algébriques, contenant éventuellement des quantités négatives ou nulles, et donne explicitement la solution de l'équation générale de degré 2. Au XIIe siècle, Bhaskara (à ne pas confondre avec son homonyme contemporain de Brahmagupta) généralise ces méthodes, qu'il étend à des équations particulières de degré supérieur à 2. Il tient compte, en outre, de la seconde racine des équations de degré 2. L'algèbre arabe fait, en quelque sorte, la synthèse des mathématiques grecques et indiennes, et constitue le sujet de prédilection des mathématiciens arabes. Au IXe siècle, al-Khwarizmi remarque que la transformation des équations constitue une théorie à part entière, dont il décrit les principes dans le _Kitab al jabr wa-l-muqabla_ dont l'algèbre tire son nom. Il reprend les méthodes de Diophante et la numération indienne, qu'il contribue à populariser. Néanmoins, il est encore gêné par les nombres négatifs, ce qui n'est pas le cas de son principal successeur, Abu Kamil. Forts des progrès de l'algèbre arabe vers l'abstraction, al-Karaji à la fin du Xe siècle et al-Samaw'al au XIIe siècle développent une puissante arithmétique des polynômes et des fractions rationnelles : multiplication, division, et même extraction de racines et une sorte de développement limité en O(1/x^n). Dès le XIe siècle, l'équation cubique suscite par ailleurs un vif intérêt. Le persan Umar al-Khayyam donne notamment de nombreux éléments d'une étude géométrique, voire en des termes modernes "analytique", du problème. Les travaux de Léonard de Pise (le célèbre Fibonacci), au début du XIIIe siècle diffusent en Europe le savoir algébrique arabe. Son _Liber Abaci_ constitue la source principale des nombreuses recherches de ses successeurs. De plus, il propose avec l'empereur Frédéric II des sortes de "défis scientifiques" sous la forme de problèmes réunis dans le _Liber Quadratorum_ et comprenant la résolution de plusieurs équations de degré 3. iii) La Renaissance À la Renaissance, les mathématiques, et surtout l'algèbre, se développent rapidement en Italie, sur la base de l'héritage gréco- arabe. Les premiers progrès s'effectuent sur le terrain du symbolisme, de plus en plus concis et suggestif. Nicolas Chuquet et Luca Pacioli présentent sous une forme concise les résultats classiques. C'est celui-ci qui introduit la notation "cossique" des équations algébriques. Jusqu'au XVIIe siècle, beaucoup s'attachent à perfectionner un symbolisme, qui atteint à peu près sa forme actuelle avec Descartes... Mais le grand apport des mathématiciens italiens à l'algèbre est la résolution par radicaux des équations de degré 3 et 4 À la toute fin du XVe siècle, Scipione dal Ferro parvient à l'expression par radicaux des racines de l'équation cubique sans terme en x^2 (ce qui est équivalent à la résolution complète, mais il semblerait qu'il ne le savait pas). Quoi qu'il en soit, dans une tradition médiévale un peu surannée, il choisit de garder sa découverte secrète. Il la confie à sa mort à son élève Fior qui ne la divulgue pas. En 1535, Tartaglia, établi à Venise comme professeur de mathématiques, propose une méthode de résolution des équations cubiques sans terme en x, mais Fior lui en conteste la priorité. Ce genre de querelles se réglaient en des défis. Fior met Tartaglia au défi de résoudre l'équation sans terme en x^2, et celui-ci y parvient, assurant sa victoire. Quelques années plus tard, un médecin et mathématicien milanais, Cardan, vient trouver Tartaglia pour obtenir l'autorisation de publier ses formules dans sa grande somme mathématique, l'_Ars Magna_ (1545). Tartaglia refuse, mais devant l'insistance de Cardan, il consent à lui exposer sa méthode, avec la promesse qu'elle ne sera pas publiée. Malgré tout, les fameuses "formules de Cardan" apparaissent bien dans l'_Ars Magna_, et une violente querelle s'ensuit qui ne prend fin qu'en 1548. On trouve également dans le traité de Cardan la solution de l'équation générale de degré 4 que l'on peut attribuer avec certitude à l'élève de Cardan, Ferrari (auquel on pense en fait devoir un grand nombre des résultats publiés par Cardan)... Une particularité de la méthode de Tartaglia est de faire intervenir, au cours du calcul, des racines carrés de nombres négatifs, ce qu'il avait du mal à prendre en considération. Le premier à avoir véritablement admis les complexes en tant que nombres, plutôt qu'artifices calculatoires, est Bombelli. Il présente les règles générales de calcul sur les complexes et toutes les récents progrès de l'algèbre peu avant sa mort, dans _Algebra, parta maggiore dell'arithmetica_ (1572). iv) Vers l'algèbre moderne Après le XVIe siècle, les mathématiciens semblent se désintéresser de l'algèbre, pour se consacrer plutôt à la géométrie et à la toute jeune analyse. Les diverses tentatives de résolution de l'équation de degré 5 sont infructueuses, de même que les essais de démonstration de la "conjecture" de Girard, selon laquelle toute équation algébrique de degré n admet exactement n racines complexes distinctes ou confondues. Étrangement, le rigoureux Descartes semble avoir considéré ce résultat comme évident. En tous les cas, l'algèbre pure fait peu de progrès jusqu'à la seconde moitié du XVIIe siècle. Il y a cependant des recherches liées à l'analyse, sur l'approximation des racines par exemple (recherches de Rolle, de Newton). Le tournant se situe néanmoins aux environs de 1770, lorsque Lagrange et Vandermonde entament des recherches sur la Théorie des Substitutions. Lagrange saisit, en particulier, l'importance de la notion de permutations sur la famille des racines d'une équation algébrique, et développe avec Waring l'idée selon laquelle, si la conjecture de Girard est vraie, alors les coefficients d'une équation algébrique sont au signe près *les fonctions symétriques élémentaires des racines* (Viète, puis Girard avaient remarqué ce résultat longtemps auparavant, dans quelques cas particuliers). Ce résultat lui permet de présenter une méthode élégante de résolution des équations de degré 3 et 4. Vandermonde étudie les fonctions invariantes par permutations circulaires, et en déduit les solutions par radicaux de certaines équations particulières (au groupe de Galois cyclique) telles que "x^11 - 1 = 0". Une nouvelle étape est franchie avec la première démonstration rigoureuse de la conjecture de Girard, publiée par Gauss en 1799. D'Alembert s'y était essayé avant lui, mais sa démonstration était incomplète. Gauss perçoit par ailleurs l'importance du "groupement des opérations" (selon l'expression de Galois) et dans ses recherches sur les formes quadratiques et sur l'arithmétique modulaire se dégagent déjà les concepts qui fondent l'algèbre moderne. Il développe de plus les idées de Vandermonde, et montre que le polygone à dix-sept côtés est constructible à la règle et au compas. Ruffini, appliqué à l'étude de la théorie des substitutions, effectue des recherches sur les valeurs prises par une fonction de cinq variables par toutes les permutations de ces variables. Il parvient à des résultats, généralisés par Cauchy, qui l'amènent à conclure, en 1813, à l'impossibilité de résoudre l'équation de degré 5 par radicaux. Ses arguments ne suffisent pas pour une démonstration rigoureuse, cependant Abel apporte des arguments plus probants sur ce point, et parvient, aux alentours de 1826, à l'impossibilité de la résolution par radicaux de l'équation générale de degré premier supérieur ou égal à 5. Cependant, son raisonnement présente des difficultés, et il maîtrise mal ses méthodes, qui ne se formalisent correctement que dans le cadre de la théorie des corps (laquelle n'émerge que bien plus tard). Galois est le premier à adopter une méthode complètement générale, en introduisant la notion de groupe d'une équation (l'ensemble des permutations[1] des racines conservant les relations algébriques entre celles-ci). Dans des mémoires successifs rédigés à partir de 1830, il dégage le critère général de résolubilité par radicaux d'une équation algébrique. Ainsi Galois clôt-il définitivement la question essentielle de l'algèbre classique, tout en posant, plus encore que Gauss, les jalons de l'algèbre moderne. [1] Pour ceux qui liraient Galois, il est intéressant de noter qu'il appelle "permutation" une certaine disposition de n lettres, et emploie le terme de substitution pour désigner l'opération de changement de cette disposition. b) Démonstration Soit P_n(x) = x^n + Sum( a_k * x^ k, de k = 0 à k = n-1) un polynôme de degré n. Les a_k sont soit des réels soit des complexes. On cherche à exprimer les racines de P_n en fonction des a_k. C'est ce que l'on appelle une résolution par radicaux. Notes: - Les a_k peuvent être réels ou complexes. Les racines des nombres négatifs ou complexes sont "admises" - Je ne traite que les cas où les polynomes sont unitaire (leur coefficient de plus haut degré est 1. Si ce n'est pas le cas il suffit de diviser le polynôme par son coeficient de plus haut degré et d'appliquer la méthode que je développe plus bas. - J'utilise pour ces démonstrations les notations sqrt(x) et cur(x) qui désignent respectivement la racine carrée et cubique de x. - J'utilise la notation <> pour signifier "différent de". 1) Le polynôme est de degré n = 1. On part de l'équation: x + b = 0. La solution est bien évidement x = -b. 2) Le polynôme est de degré n = 2. On part de l'équation: x^2 + a*x + b = 0. Deux possibiltés se présentent: (i) a = 0 et (ii) a <> 0 (i) a = 0. L'équation s'écrit x^2 = -b Les deux solutions sont donc: x1 = sqrt(-b) et x2 = - sqrt(-b) (ii) a <> 0. L'équation s'ecrit x^2 + a * x + b = 0 Cette équation peut s'écrire: x^2 + a*x + (1/4)* a^2 + b - (1/4)* a^2 = 0 Or l'on a : (x + a/2)^2 = x^2 + a*x + (1/4)* a^2 Donc on peut écrire dans la première équation: (x + a/2)^2 = ( a^2 - 4b ) /4 Ce qui revient au cas (i). Donc l'équation s'écrit: x + a/2 = sqrt( (1/4)*a^2 - b ) ou x + a/2 = - sqrt( (1/4)*a^2 - b ) On en déduit les solutions de l'equation: x1 = -a/2 + sqrt( (1/4)*a^2 - b ) et x2 = -a/2 - sqrt( (1/4)*a^2 - b ) 3) Le polynôme est de degré n = 3. On part de l'équation: x^3 + a*x^2 + b*x + c = 0. On effectue un changement de variable x = z - a/3. On obtient alors une équation du type : z^3 + p*z + q = 0 Avec: p = b - (1/3)*a^2 et q = (2/27)*a^3 - (1/3)*a*b + c Note: Une fois que l'on a une solution z0 de l'équation en z, alors x0 = z0 - a/3 est solution de l'équation en x. Pour l'équation en z, deux cas sont possibles : (i) p = 0, (ii) p <> 0. (i) p = 0. L'équation s'écrit donc z^3 = -q Cette équation a trois solutions dans C: z1 = cur(-q) (cur(x) est la racine cubique de x) z2 = j * z1 z3 = (j^2) * z1. Où j = ( -1 + i*sqrt(3) )/2 (ii) p <> 0. L'équation est z^3 + p*z + q = 0. On effectue un autre changement de variable z = u + v. Avec u non-nul. Et l'équation s'écrit: u^3 + v^3 + q + (3*u*v + p)*(u + v) = 0 on s'intéresse alors au système suivant: { u^3 + v^3 + q = 0 [S] { 3*u*v + p = 0 Note: si (u0, v0) est solution du sytème [S], on remarque que z0 = u0 + v0 est solution de l'équation 3. Le système [S] est équivalent à: { u^6 + q* u^3 - (1/27)*p^3 = 0 { v = - p /(3u) Encore (!) un changement de variable dans la première équation. On pose y = u^3, et celle-ci devient: y^2 + q*y -(1/27)*p^3. De là, une solution est donc: y = -q/2 + sqrt( (1/2)*q^2 +(1/27)*p^3 ) Donc, il ne reste plus qu'à trouver les solutions de u^3 = y. C'est le cas (i). On a donc comme solutions: u1 = cur(y). et v1 = -p / (3*u1) u2 = j * u1. et v2 = j * v2 u3 = (j^2) * u1 et v3 = (j^2) * v3 De là, on a z1 = u1 + v1, z2 = u2 + v2 et z3 = u3 + v3. Ce qui nous donne les solutions pour x... 4) Le polynôme est de degré n = 4 On part de l'équation x^4 + a * x^3 + b * x^2 + c * x + d = 0. On effectue le changement de variable x = z - a/4. On obtient une équation réduite de la forme: z^4 + p * z^2 + q * z + r = 0 Avec p = b - (3/8)*a^2 ; q = c - a*b/2 + (1/8)*a^3 et r = d - a*c/4 + (1/16)*b*a^2 - (3/256)*a^4 On a deux cas pour l'équation en z: (i) q = 0 et (ii) q <>0. (i) q = 0. L'équation s'écrit z^4 + p * z^2 + r = 0. C'est ce que l'on appelle une équation bicarrée. On pose y = z^2 et l'equation devient y^2 + p * y + r = 0 Les solutions sont donc: y1 = -p/2 + sqrt( (1/4)*p^2 - r) et y2 = -p/2 - sqrt( (1/4)*p^2 - r) De là les valeurs de z sont: z1 = sqrt(y1) ; z2 = - sqrt(y1) ; z3 = sqrt(y2) et z4 = -sqrt(y2). (ii) q <> 0. L'équation s'écrit z^4 + p * z^2 + q * z + r = 0 On pose alors 2*P - Q^2 = p ; -2*Q*R = q et P^2 - R^2 = r. On a alors (z^2 + P)^2 - (Qz +R)^2 = 0. Ce qui est une autre façon d'écrire z^4 + p * z^2 + q * z + r = 0. Si l'on arrive à determiner le triplet (P0, Q0, R0) alors trouver les solutions de l'équation réduite revient à résoudre: z^2 + P0 + Q0 * z + R0 = 0 ou z^2 + P0 - Q0 * z - R0 = 0 On peut donc trouver z. Il reste donc à determiner P, Q et R. C'est à dire à résoudre le système { 2*P - Q^2 = p { -2*Q*R = q [S] { P^2 - R^2 = r Ce système revient à: { Q^2 = q^2 / (4*P^2 - r) { R^2 = P^2 - r { Q*R = -q / 2 Ce qui revient à résoudre l'équation (en P) suivante: p^3 - (p/2)*P^2 - r*P + p*r/2 - (1/8)*q^2 = 0 De là, on trouve (pas si) facilement P0. Et grâce au système [S] on peut lui associer un couple (Q0, R0) et donc trouver z... (ouf !) 5) Le polynôme est de degré n > 4. Au XIXè siècle, Abel a montré que la résolution par radicaux de l'équation du cinquième degré était impossible dans le cas général. Indépendamment, Galois a généralisé cette démonstration à l'ensemble des cas où n est supérieur ou égal à 5. Cette démonstration demande un recours à la théorie de Galois, elle ne sera pas developpée ici. Cette théorie est très bien développée dans : _Équations algébriques et théorie de Galois_ de Claude Mutafian, (ed. Vuibert) et _Galois Theory_ de Ian Stewart (ed. Chapman and Hall) (attention, ce dernier est en anglais).